La République de Moldavie poursuit son parcours européen, à la suite des élections parlementaires qui ont permis aux pro-européens d’obtenir une majorité absolue au parlement et de former un nouveau gouvernement. La route sera-t-elle moins semée d’embûches pour autant ? Interview avec le professeur et analyste politique roumain Armand Gossu, le meilleur spécialiste de l’histoire politique étrangère soviétique et russe à Bucarest.

 

Le scrutin parlementaire de la République de Moldavie a eu une fin bien heureuse, pourrait- on dire. Ce qui est intéressant c’est la manière dont ce scrutin a été attendu, commenté, célébré dans toutes les grandes capitales occidentales. Pourquoi la Moldavie est-elle si importante pour l’Union européenne ?

 

D’une part parce que la Russie affirme être en guerre contre l’Occident, par l’intermèdiaire de l’Ukraine, qu’elle considère comme un proxy. La Moldavie se situant près de la région ukrainienne d’Odessa, elle est désignée comme l’enjeu et le but de l’expansion russe.

 

Et d’autre part parce que la Moldavie a réussi à tenir tête –aidée principalement par la Roumanie – dans certaines opérations hybrides de la Russie, qui avaient pour but de créer un chaos politique ou de ramener au pouvoir des forces politiques pro-russes à Chisinau. Une prétention plutôt naïve de la part de Moscou, qui confirme d’ailleurs son incapacité à comprendre les rouages profonds des évolutions politiques de la Moldavie.

 

De plus, l’UE traverse une période difficile, elle n’a pas engrangé de succès dernièrement, de telle manière que la victoire des forces pro-européennes à Chisinau confirme le fait que l’UE est toujours attirante et qu’elle peut vaincre la Russie dans une bataille symbolique pour le mental des électeurs moldaves.

 

Imaginons le scénario opposé, avec les partis pro-russes gagnant les élections parlementaires : un tel résultat aurait-il été vraiment une catastrophe pour l’UE ?

 

Ceci aurait pu avoir un impact négatif. Celui qui connaît bien la Moldavie comprend que le scénario d’une victoire électorale des partis pro-russes était peu probable, que la seule force politique pro-russe assumée était en fait le Bloc Patriotique, mené par l’ancien président du pays, Igor Dodon. Mais celui-ci a réussi à s’emparer seulement du quart des mandats du futur parlement. Si vous vous souvenez bien, Dodon avait déjà été président du pays par le passé et il s’était fait remarquer par le fait qu’il était resté près de Poutine lors de la parade mise en place pour la Journée de la Victoire, sur la Place Rouge. Mais comme tous les politiciens moldaves, Dodon sait que l’argent vient de Bruxelles, que Moscou est trop loin et n’a pas d’argent pour la Moldavie. Donc, Dodon lui-même n’était pas en fond très intéressé à gagner les élections en Moldavie.

 

Vous êtes parmi les analystes, peu nombreux, qui considèrent la Moldavie comme étant « un thermomètre géopolitique de la Mer Noire ». Cela pourrait paraître paradoxal, étant donné que la Moldavie n’a pas d’ouverture sur la Mer Noire…

 

L’Elite de Chisinau mais également les citoyens ordinaires a un très bon instinct de survie. La Moldavie a été une province située en marge d’un empire, et qui a toujours su s’orienter vers le plus puissant de la région, justement dans le but de survivre. On parle d’un petit pays, mais avec une boussole géopolitique extraordinaire, ce qui est fondamental quand on veut survivre.

 

 

La Moldavie lutte pour que Berlin, Paris, Rome, Madrid maintiennent leur intérêt pour ce pays après les élections parlementaires. Elle ne pense pas à des combinaisons régionales de pouvoir. La mise en place de la réforme du pays et la consolidation des institutions demeurent importantes et l’objectif stratégique de Chisinau reste l’adhésion à l’UE. J’espère que l’Union aussi est préparée à recevoir l’Ukraine et la Moldavie dans ses rangs car une Europe sans sa partie orientale serait incomplète.

 

Est-ce que le scénario de la fin de l’occupation russe de la Transnistrie et de sa réunification avec la République de Moldavie est possible ? La presse de Chisinau comme celle de Kiev brandissent ce scénario depuis peu.

 

Le principal argument de ces analyses repose sur l’idée que la Russie n’aurait plus de ressources à injecter à Tiraspol (Transnistrie) et que le régime en place est en train de s’écrouler. En conséquence, les militaires russes partiraient et le régime séparatiste devrait commencer des négociations afin de pouvoir revenir sous la tutelle administrative de Chisinau. Mais moi je pense que les choses ne sont pas si simples.

 

En ce moment, Tiraspol, désespéré, aimerait négocier une formule qui pourrait lui permettre de sauver, non pas seulement la face, mais surtout les intérêts économiques (je me réfère ici à la reconnaissance des droits de propriété, des décisions de tribunaux etc.) du holding Sherrif, qui contrôle de fait la zone séparatiste.

 

Tandis que le pouvoir de Chisinau souhaite un arrangement en étapes, déroulé dans le temps, qui ne fragilise pas son résultat électoral, dans les conditions dans lesquelles les forces pro-européennes supposaient– injustement, à mon avis – que les habitants de Transnistrie voteront de manière massive avec les partis pro-russes. Ce ne fut pas le cas. Chisinau semble vouloir se débarrasser de la Transnistrie, mais elle ne sait pas trop comment. C’est à cause de cela justement qu’elle agite le scénario cypriote.

 

Dans ce paradigme, la Moldavie du côté droit de la rivière Prout serait le Chypre intégré en UE, tandis que la Transnistrie jouerait le rôle du Chypre du Nord. On ne sait pas par contre si l’Ukraine souhaiterait jouer le rôle de la Turquie dans ce scénario. Un détail qui pourrait se résoudre via des négociations, mais seulement après la fin de la guerre entre Russie contre l’Ukraine…

 

Maison de l'Europe de Paris

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