En France, en 2023, les femmes ont commencé à travailler gratuitement, par rapport aux hommes, dès le 6 novembre et jusqu’à la fin de l’année. Ce qu’il signifie qu’elles auraient dû travailler presque deux mois de plus pour avoir un salaire égal aux hommes : étrange dans un pays qui est connu comme étant le pays de naissance des Droits de l’Homme ! Isabelle Lonvis-Rome, ancienne ministre de l’Égalité entre les hommes et les femmes, a mené l’année dernière un rapport sur les chiffres clefs de l’égalité salariale. Dans ce rapport nous observons que malgré une réduction encourageante de ces inégalités, d’autres persistent. Par exemple, en 2019, l’écart relatif du salaire moyen en EQTP (équivalent temps plein) est de 16,1%, ce qui reste considérable. Mais qu’en est-il à l’échelle de l’UE ?
Depuis 1948, avec la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, toute personne a droit sans aucune discrimination à un salaire égal pour un travail égal, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant une existence conforme à la dignité humaine (art. 23). Le droit pour les femmes d’avoir le même salaire que les hommes est ainsi reconnu depuis longtemps et s’est multiplié dans diverses sources juridiques européennes (art. 11 de la convention des Nations Unies de 1979, art.2 et 3§3 du Traité sur l’UE, art. 8, 10 et 157 du Traité sur le fonctionnement de l’UE et à l’art. 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE). Pourtant, ce droit donné contre les discriminations sexistes sur le lieu du travail continue d’être violé, malgré quelques progrès réalisés grâce à l’impulsion de la Commission européenne.
L’écart salarial entre les hommes et les femmes à l’échelle de l’UE était de 13% en 2021
L’écart salarial entre les hommes et les femmes à l’échelle de l’UE était de 13% en 2021, selon les statistiques publiées par le Parlement européen, avec la nuance « cet écart n’a que très peu diminué au cours des dix dernières années ». Nous pouvons retenir également que les femmes gagnent en moyenne 0,87€ pour 1€ gagnés par les hommes. Il y a du progrès mais c’est relativement lent : la différence a diminué de 2,8 points de pourcentage en 10 ans (p.ex en 2015, l’écart salarial était de 15,5%). Voici quelques exemples de pays parmi les meilleurs élèves en matière de différence entre les salaires horaires bruts moyens des hommes et des femmes en 2020 :
- Le 1er est le Luxembourg avec 0,7%,
- Puis la Roumanie avec 2,4%
- Ou encore la Slovénie avec 3,1%.
Tandis que la France se positionne vers le bas du classement avec 15,8%, l’Allemagne se trouve même dans une position encore plus ingrate, avec 18,3%. Enfin les moins bons élèves sont l’Autriche (18,9%), l’Estonie (21,1%) et la Lettonie (22,3%), qui clôt ce tableau pas du tout honorant.
Or les pays de l’UE doivent éliminer toute discrimination fondée sur le sexe, en ce qui concerne tous les aspects et toutes les conditions de la rémunération pour un même travail, ou pour un travail de valeur égale conformément à la directive 2006/54/CE sur l’égalité de rémunération.
Cette directive1 aide les pays de l’UE à mettre en œuvre correctement les règles existantes. Cette directive consolide celles déjà existantes sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’emploi mais également la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. De surcroit, en mars 2014, la Commission européenne a adopté une recommandation afin de garantir et renforcer le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Cette recommandation permet d’orienter les Etats membres de l’UE dans leur application de ce principe et porte principalement sur l’amélioration de la transparence des salaires2.
A ce titre, la présidente de la CE, Ursula von der Leyen, a déclaré d’ailleurs :
« A travail égal, salaire égal. Et pour un salaire égal, il faut de la transparence. Les femmes doivent savoir si leurs employeurs les traitent de façon équitable. Et lorsque ce n’est pas le cas, elles doivent être en mesure de se défendre et d’obtenir ce qu’elles méritent. »
Dans le cadre de la recommandation ci-dessus citée, l’idée d’une nouvelle directive 2023/970 a vu le jour et celle-ci a été signée il y a moins d’un an, le 10 mai 2023 (entrée en vigueur le 6 juin 2023) afin d’assurer l’effectivité du droit à l’égalité de rémunération. Ce travail de transparence comporte un deuxième volet, l’instauration d’une « évaluation conjointe » (art. 10 directive 2023/970) qui doit être réalisée avec les représentants des salariés afin de « recenser, corriger et prévenir les différences de rémunération entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins qui ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes ». Pour effectuer cette évaluation, il est nécessaire par exemple, de tenir compte d’une quelconque augmentation de la rémunération des salariés suite au retour d’un congé de maternité ou de paternité, d’un congé parental ou d’un congé aidant.
Néanmoins, nous pouvons se demander si ce travail de transparence est réellement utile et s’il ne faut pas tout simplement agir en amont. Les responsables d’entreprises ne vont-ils pas se cacher derrière ces rapports de transparence qui peuvent ne pas refléter la réalité factuelle ? Les directeurs des ressources humaines et d’entreprises n’ont-ils pas un rôle considérable à jouer pour réparer ces inégalités ?
2022 – 3 femmes sur 40 à la tête d’une grande entreprise dans le CAC 40
Il n’est pas encore possible de pouvoir constater les effets de cette nouvelle directive, mais regardons les statistiques du point de vue du montant des salaires. L’exemple français évalué dans le rapport ministériel de 2020, évoqué au début de l’article, est clair : les hommes gagnent en moyenne 527 € bruts de plus par mois que les femmes dans le secteur privé, bien que les écarts de salaires se réduisent progressivement. Par ailleurs, les femmes demeurent largement sous-représentées parmi les plus hauts salaires : 21,3% de femmes contre 78,7% d’hommes. Les femmes sont toujours très minoritaires à la tête des grandes entreprises dans de nombreux secteurs. En 2022 il y avait seulement 3 femmes sur 40 à la tête d’une grande entreprise dans le CAC 40 et 14 sur 120 dans le SBF (Société des bourses françaises).
Dans le secteur public, les femmes demeurent majoritaires cependant, elles sont toujours moins bien payées que les hommes. L’écart de salaire net en EQTP entre les femmes et les hommes dans la fonction publique en 2019 était de 12,6%. Il existe trois secteurs différents dans la fonction publique et, dans les trois les salaires nets mensuels moyens en EQTP en 2019 (tous agents confondus) sont nettement inférieurs pour les femmes.
Nous pouvons également constater ce phénomène discriminatoire dans les régions d’Outre-mer, bien que les revenus soient moins élevés de manière globale. Les écarts salariaux y sont moins importants, par exemple, à la Réunion les femmes perdent 2360€ de salaire par an par rapport aux hommes ; en Martinique on parle de 3200€ en moins, et en Hexagone c’est 5 940 € en moins par an pour les femmes.
La jurisprudence fait l’affaire
Nous constatons que malgré des évolutions, certaines permises par l’UE, des inégalités persistantes dans tous les Etats membres. Néanmoins, l’enjeu restant majeur et les individus décident de porter davantage cette question devant les juridictions.
Le 8 mars 2023, Journée internationale de la femme, la Cour de cassation française a rendu une décision en faveur d’une plaignante concernant la divulgation de données comparatives et de bulletins de paye détenus par ses employeurs. Elle lui a permis, ainsi, de pouvoir constituer des moyens de preuves afin de contester l’écart salarial entre elle et ses collègues masculins pour le même travail fourni. Ainsi, cet arrêt répond à un problème majeur de preuve, dans le cadre d’un contentieux en discrimination et en inégalité des droits du travail.
Grâce à ces multiples outils législatifs, les Etats membres devront donc mettre en place des sanctions efficaces (p.ex. amendes) pour les employeurs qui ne respectent pas les règles. De plus, une victime de discrimination pourra demander une indemnisation. Le Parlement européen souligne que si un(e) employé(e) estime que le principe de l’égalité de rémunération n’a pas été respecté et porte l’affaire devant les tribunaux, ce sera à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination (Directive (EU) 2023/970). La charge de la preuve pèse donc sur l’employeur afin de soulager les requérants.
Nous constatons ainsi de nouveaux instruments (p.ex. directives) et une politique de transparence active en faveur d’un mouvement vers une égalité salariale complète. Néanmoins, ces instruments n’ont pas encore fait preuve de leur efficacité et il n’existe absolument aucun organe de contrôle pour vérifier le respect de ces nouvelles mesures. L’espoir demeure cependant, car la charge de la preuve a été renversée et il est désormais plus facile d’aller en justice pour contester son salaire et les inégalités subies. Depuis qu’il est légal de demander les fiches de paie à son employeur, il est temps de passer à l’action et de comparer les revenus.
C’est déjà un premier pas vers la transparence et l’action. Pour un salaire juste et une vie meilleure, il est temps de prendre les devants !