La flambée des prix de l’énergie qui a pris de court l’ensemble des pays de l’Union européenne ces derniers mois, vient une fois de plus illustrer le défaut criant de coordination européenne dans ce domaine, en particulier dans le transport de l’électricité. Or, aujourd’hui, cette situation apparaît lourdement préjudiciable aux économies du continent. Une mutualisation des réseaux électriques européens apparait aujourd’hui nécessaire.
Baisse de la TVA, compensations directes, blocage des prix : l’Europe se trouve en ordre dispersé pour répondre à la crise énergétique actuelle, « la plus grave depuis des décennies ». Chaque Etat, sans concertation avec ses voisins, a pris des mesures pour tenter d’enrayer l’incendie, dont les premières victimes sont les PME et les ménages aux faibles revenus. Les externalités positives à court terme de ces décisions prises dans l’urgence masquent toutefois un problème structurel de l’Union européenne : l’absence d’un vrai plan commun de développement des réseaux de transport d’électricité et de leurs opérations.
L’intérêt d’une véritable mutualisation des réseaux est multiple. À consommation égale des Européens, par exemple, la quantité d’énergie serait réduite significativement grâce à l’utilisation plus stable des installations de production dans leur régime optimum. La gestion des pointes de consommation et le pilotage des réseaux de manière générale seraient également facilités grâce à la possibilité de mutualiser les capacités installées.
Surtout, la transition électrique et la mise en place de nouveaux mix de production à l’initiative de chaque pays (et en respectant sa souveraineté), seraient rendues plus fluide, y compris dans le cas où de nouvelles technologies ou innovations arriveraient à maturité dans les années ou les décennies qui viennent.
La sécurité et la garantie d’approvisionnement seraient bien plus grandes qu’aujourd’hui pour l’ensemble des pays, puisque les capacités de réserve et de réaction aux intermittences de l’éolien et du photovoltaïque ou à une défaillance seraient communes.
Les interconnexions encore limitées aujourd’hui ne permettent pas une réflexion d’ensemble, ni sur l’équilibre des réseaux, ni sur la coordination des opérations. Elles constituent de plus un risque accru de black-out dans certaines circonstances.
Enfin, une mutualisation des réseaux affirmerait de surcroît une solidarité européenne décisive par rapport à la question cruciale du stockage de l’électricité, notamment sous sa forme hydraulique, ainsi que des investissements nécessaires dans le passage par l’hydrogène.
Le « réseau de transport idéal » à l’échelle de l’Union européenne ne se fera pas en un jour, c’est un travail de plusieurs années durant lesquelles il faudra notamment vaincre les réticences légitimes des gestionnaires historiques : leur travail consiste à garantir l’équilibre de leur réseau, chaque cinquantième de seconde, depuis des décennies ; ils voient donc d’un œil très circonspect, la mise en commun de cette très lourde responsabilité.
Les récents développements dans le cadre du mécanisme d’interconnexion en Europe (2021-2027) sont encourageants (1). L’Europe doit consacrer de tels plans d’investissement d’intérêt européen afin notamment de mettre à niveau les réseaux de transports d’électricité dans certains États membres. Les projets d’infrastructure transfrontaliers pourraient constituer les prémices d’une interconnexion plus globale.
Celle-ci constituera la première pierre d’une transition vers une véritable décarbonation de l’électricité à l’échelle de l’Union Européenne ; elle est également la seule démarche à même de rétablir la solidarité et la souveraineté de l’UE face aux différentes crises et aléas qui menacent sa capacité électrique.
Cette gestion commune du transport et de la distribution intelligente d’électricité pourrait alors jouer un rôle comparable à celui de la CECA des pères fondateurs. Mais un projet de cette ampleur ne doit pas se faire dans l’anonymat d’un bureau au sein des Institutions européennes. Nous l’avons appris ces derniers mois, les grandes crises offrent malgré elles des occasions uniques de repenser en profondeur nos systèmes et modes de fonctionnement. Que cela inspire citoyens et décideurs européens !
Contribution de Monsieur Frédéric PETIT, député des Français établis à l’étranger, spécialiste des réseaux d’énergie en Europe, pour le Centre Europe Direct de la Maison de l’Europe de Paris et publié en partenariat avec le blog Voix d’Europe.