Immigration ukrainienne en UE : l’usure se fait sentir, mais la guerre est loin d’être finie

Immigration ukrainienne en UE : l’usure se fait sentir, mais la guerre est loin d’être finie

 

 

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Europe a été confrontée à un afflux massif de réfugiés ukrainiens. Au 15 juillet 2024, plus de 6 millions d’Ukrainiens résidaient dans d’autres pays européens, représentant près de 14 % de la population ukrainienne avant le conflit.

 

En France, environ 100 000 réfugiés ukrainiens ont été accueillis depuis le début du conflit dont près de 80% de femmes. Les autorités françaises ont mis en place des mesures pour faciliter leur intégration, notamment en leur accordant une protection temporaire qui leur permet de séjourner et de travailler librement.

 

Par ailleurs, l’immigration ukrainienne vers l’Europe a majoritairement concerné des familles composées de femmes et d’enfants. Dès le début du conflit, la loi martiale a interdit aux hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans de quitter le pays, les obligeant à rester pour participer à la défense nationale. En France, cette situation a fait que la plupart des réfugiés ukrainiens sont des femmes accompagnées de jeunes enfants, ce qui augmente les besoins en termes d’accueil adapté pour des familles et de prise en charge des enfants.

 

Dès les premières vagues, les familles ukrainiennes ont rencontré des obstacles imprévus aux frontières de plusieurs pays européens. Si la Pologne et la Roumanie ont rapidement mis en place des dispositifs d’accueil, certains autres pays, comme la Hongrie et la Slovaquie, ont exprimé des réticences face à cet afflux soudain de réfugiés, ce qui a ralenti leur arrivée en Europe. Ces réticences étaient souvent motivées par des ressources limitées et des tensions politiques internes, qui ont freiné la fluidité du passage de certaines familles vers les pays d’accueil plus éloignés.

 

Pour ces familles souvent monoparentales, l’intégration en France présente des défis. La charge des enfants repose entièrement sur les mères, ce qui limite leur capacité à travailler malgré le droit d’accès au marché de l’emploi. Cette réalité rend la recherche de solutions de garde essentielle mais souvent complexe, surtout avec les obstacles financiers auxquels ces familles sont confrontées. De plus, la barrière de la langue constitue un obstacle supplémentaire, tant pour les adultes que pour les enfants, rendant l’accès aux services et aux opportunités d’intégration plus complexe.

 

Le syndrome de l’essoufflement

 

Depuis le début de l’invasion russe, l’Europe a manifesté une solidarité remarquable envers les réfugiés ukrainiens. Cependant, plus de deux ans après, cette mobilisation montre des signes d’essoufflement, affectant directement les conditions de vie et d’intégration des réfugiés. Au départ, de nombreux pays européens ont ouvert leurs portes aux réfugiés ukrainiens, offrant hébergement, assistance financière et accès aux services publics. Toutefois, la prolongation du conflit a conduit à une fatigue de l’accueil. Certains pays, initialement accueillants, ont commencé à restreindre leurs politiques d’asile. Par exemple, la Norvège a cessé d’accorder automatiquement l’asile aux Ukrainiens, invoquant des pressions sur le logement et les services publics.

 

De plus, des témoignages comme celui d’Oksana, réfugiée à Nice, mettent en lumière une évolution dans la dynamique de l’hébergement citoyen :

« Au début, j’ai habité un mois chez un professeur d’université. Après une période de gratuité, le professeur m’a proposé de rester dans l’hébergement citoyen où j’étais en échange d’un loyer.»

 

Ces situations illustrent la transition progressive des solutions d’urgence vers des arrangements à plus long terme, souvent complexes pour des familles précaires. Par ailleurs, l’intégration des réfugiés ukrainiens sur le marché du travail européen reste un défi majeur. Bien que la directive de protection temporaire de l’UE leur accorde le droit de travailler, de nombreux employeurs hésitent à proposer des contrats à long terme, craignant que les réfugiés ne retournent rapidement en Ukraine. Cette réticence conduit à une succession de contrats à durée déterminée, empêchant les réfugiés de stabiliser leur situation professionnelle et financière. En Allemagne, par exemple, seuls 20 % des réfugiés ukrainiens ont trouvé un emploi, un chiffre bien inférieur à ceux enregistrés dans des pays comme le Danemark, où près de 75 % des réfugiés travaillent, ou la Pologne, où ce taux atteint 60 %. Cette disparité met en lumière les obstacles spécifiques rencontrés par les réfugiés ukrainiens dans leur recherche d’emploi.

 

Parmi ces obstacles, l’apprentissage de la langue est souvent cité comme le premier frein à l’intégration. La barrière linguistique complique non seulement les interactions avec les employeurs mais limite également l’accès à des emplois qualifiés correspondant aux compétences des réfugiés. À cela s’ajoute le problème de la vérification et de la reconnaissance des qualifications professionnelles ou des diplômes universitaires, une procédure souvent longue et bureaucratique qui freine l’entrée sur le marché du travail, surtout pour des professions réglementées. D’autres défis structurels aggravent encore la situation. Le manque de logements abordables et permanents pousse de nombreuses familles à vivre dans des hébergements temporaires, parfois éloignés des centres économiques où se trouvent les opportunités d’emploi. De plus, l’absence de solutions de garde d’enfants, particulièrement pour les mères seules, rend difficile voire impossible la reprise d’une activité professionnelle à temps plein. Enfin, dans certains pays, comme l’Allemagne, les aides financières, bien qu’essentielles, peuvent freiner l’intégration économique. Avec un montant d’environ 500 euros par personne, elles permettent parfois de subvenir aux besoins sans chercher immédiatement un emploi, retardant ainsi l’insertion professionnelle.

 

Une usure de la solidarité ?

 

La fatigue de l’accueil se traduit également par un accès restreint aux services essentiels. Des familles réfugiées signalent des difficultés croissantes pour accéder à un logement décent, à l’éducation pour leurs enfants et à des soins de santé appropriés. Cette situation est exacerbée par des systèmes administratifs complexes dans une langue étrangère, rendant l’intégration encore plus ardue. Claudia, 56 ans, qui se qualifie d’« hébergée ambulante », résume bien cette incertitude persistante :

 

« C’était 3 mois, puis 3 mois, puis encore 3 mois. Nous avons besoin de certitude, de stabilité. Comment trouver du travail, inscrire les enfants à l’école, si nous ne savons pas où nous serons dans trois mois ? »

 

La prolongation du conflit en Ukraine laisse les réfugiés dans une incertitude sévère quant à leur avenir, pourtant désireux de reconstruire leur vie, que ce soit dans leur pays d’origine ou dans leur pays d’accueil. Bien que l’UE ait prolongé la protection temporaire jusqu’en 2025, les réfugiés craignent une diminution progressive du soutien et des opportunités d’intégration. Cette situation souligne la nécessité pour les pays européens de réévaluer et d’adapter leurs politiques d’accueil afin de fournir un soutien durable aux réfugiés ukrainiens.

 

Ainsi, l’Europe, bien qu’ayant initialement démontré une solidarité exemplaire envers les réfugiés ukrainiens, se trouve aujourd’hui confrontée à l’usure de cet élan humanitaire face à la persistance du conflit. Pourtant, la guerre est loin d’être finie. On peut comprendre les difficultés des européens à supporter la présence quotidienne de la guerre et à aider nos voisins de l’Est, néanmoins notre lassitude, si lassitude est, est loin de pouvoir être comparée avec le quotidien de la population confrontée à la valse des bombes et des attaques russes. L’Europe est une terre d’accueil, de générosité et d’entraide, ne l’oublions pas. Pour eux, ces défis liés à l’intégration sur le marché du travail, à la barrière de la langue, au logement, et à l’accès aux services essentiels continuent de faire perdurer l’incertitude et la peur. Cette situation souligne l’urgence de repenser les dispositifs d’accompagnement pour garantir non seulement une assistance immédiate, mais aussi une intégration durable, tout en respectant le souhait de nombreuses familles de retourner un jour en Ukraine. L’indifférence peut tuer. Ne commettons pas la même erreur faite après l’invasion de la Crimée, en 2014, car si nous avons vite arrêté de penser à cet évènement, les agissements de Poutine en Ukraine n’ont pas cessé pour autant.

 

 

 

Maison de l'Europe de Paris

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