Contexte de la réélection
Le 28 mai 2023, le président Turque Erdogan a été réélu avec plus de 52% des voix pour un troisième mandat en tant que président. En effet, le président Erdogan, en dépit des sondages, s’en est sorti de justesse face à son opposant Kemal Kiliçdaroglu, ce qui n’était pas dans les prévisions du camp présidentiel. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : l’usure du pouvoir, car Erdoğan est depuis presque 20 ans présent dans la vie politique turque ; une crise économique qui dure depuis plus de deux ans dont en résultent une très forte inflation et un appauvrissement de la population ; et enfin les récents séismes sur le territoire turque et syrien ayant fait d’innombrables victimes ce mois de février. Néanmoins, Erdoğan reste l’une des figures de proue de la Turquie, deuxième chef d’état le plus reconnu après Mustafa Kemal. Il reste pour ses partisans l’homme du « miracle économique » qui a fait entrer la Turquie dans le club des vingt pays les plus riches au monde. Il demeure aussi à leurs yeux le seul capable de tenir tête aux grandes puissances et de traverser sans tanguer les crises régionales et internationales.
Bilan européen d’Erdoğan
Erdoğan est depuis maintenant une vingtaine d’années présent dans les hautes instances de décision du pays que ce soit en tant que premier ministre ou en tant que président. Le bilan d’Erdoğan est négatif dans plusieurs domaines : sur le point de vue économique, la Turquie a d’abord bénéficié de beaucoup d’investissements étrangers au vu de sa possible adhésion à l’UE. Le revenu par habitant est passé de 3 000 dollars en 2002 à 12 000 dollars en 2012, son niveau le plus élevé mais depuis il régresse et est passé à 9000 dollars. La Turquie connaît depuis 2018 une forte crise économique qui a causé une importante dépréciation du livre turque et est aujourd’hui le deuxième pays du monde en termes d’inflation. Erdoğan a transformé un pays qui était plutôt autoritaire démocratique en un régime hyper présidentiel, une forme de démocrature. Cela s’est traduit par la régression voire l’abandon total de certains droits fondamentaux mais également par le changement de son projet politique qui ne semble pas toujours être en adéquation avec celui de l’UE. En effet, ses intérêts divergent grandement de ceux de l’UE, comme en Syrie, en Libye ou plus récemment, dans le Haut-Karabakh. De plus, la politique d’Erdoğan a connu un virage idéologique conséquent entre ses débuts comme premier ministre (positionnement autoritaire, conservateur culturellement mais économiquement libéral, et politiquement plutôt démocrate) et sa politique à partir de 2011 et les années qui suivent où son positionnement politique se veut plus conservateur religieux.
D’un point de vue commercial, l’UE a été un partenaire très important de la Turquie. Les importations de la Turquie en provenance de l’UE étaient d’une valeur de 69 milliards d’euros en 2020 et 37% des échanges commerciaux de la Turquie sont faits avec l’UE.
Si la Turquie est en partie dépendante de ces relations commerciales avec l’UE, l’UE en revanche, est en partie dépendante de la Turquie concernant la gestion des flux migratoires. En mai 2016, après la crise européenne de l’asile, l’UE a conclu un accord avec la Turquie, lui offrant 6 milliards d’euros pour accueillir (et garder) les réfugiés syriens sur son sol. Cette dépendance de l’UE est devenue un vrai levier de pression sur l’UE pour Erdoğan. La Turquie s’est souvent servie de cet accord pour faire pression sur l’UE. En 2019, fustigeant les critiques européennes à l’encontre de son intervention militaire contre une milice kurde dans le nord-est syrien, Erdoğan a menacé de laisser passer des millions de réfugiés en Europe fragilisant d’autant plus sa relation avec l’UE
L’UE et la Turquie ont donc connu de nombreuses divergences et ces différends n’ont fait qu’empirer ces dernières années et notamment depuis février 2018, en raison d’une crise diplomatique entre Chypre et la Turquie. Les conséquences furent lourdes pour la Turquie : le Conseil de l’Union Européenne suspend les négociations d’adhésion de la Turquie en juin 2018 et en juin 2019, le Conseil décide également de bloquer la conclusion d’un accord sur le transport aérien avec la Turquie. La Turquie d’Erdoğan, pourtant désireuse de rejoindre l’UE, ne s’entend que sur très peu de sujets en matière de politique étrangère avec l’UE. D’après la Commission européenne, en août 2021, les positions turques ne sont alignées que dans 14% des cas avec celle de l’UE.
Conséquences de cette réélection d’Erdoğan
Les espoirs que fondait une partie du peuple turc lassé de ce gouvernement et les grandes instances européennes dans le candidat turc Kemal Kiliçdaroglu se voient être balayés par cette réélection. Le leader du principal parti de cette coalition promettait un retour de la démocratie dans le pays, « nous établirons tous ensemble le pouvoir de la morale et la justice », a-t-il assuré après avoir été désigné par la coalition des partis d’opposition, et avait également pour projet d’intégrer les populations et communautés autrefois mises à l’écart au sein de la société civile turque. Pour la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, il reste cependant « d’une importance stratégique pour l’UE et la Turquie de travailler à faire progresser cette relation, au profit du peuple européen ». L’UE va donc devoir faire face à un Erdoğan dont la victoire pourrait le rendre plus imprévisible que jamais.