La conférence organisée par la Maison de l’Europe Paris, à l’initiative de Raiffeisen Bank en Albanie, sur l’élargissement de l’UE vers les Balkans occidentaux, a rassemblé plusieurs intervenants de qualité, chacun apportant un éclairage précieux sur ce sujet d’importance capitale pour l’avenir de l’Europe. La rencontre a été animé par Jean-Arnault Derens, rédacteur-en-chef du webzine “Courrrier des Balkans”.
Lors de la conférence, plusieurs intervenants ont abordé la question cruciale de l’intégration des Balkans occidentaux dans l’Union européenne, mettant en lumière divers aspects et défis liés à cette perspective. Plusieurs éléments récents montrent que le thème des Balkans occidentaux relève de l’actualité politique européenne mais aussi française. Du côté européen, le président du Conseil européen, Charles Michel, a indiqué fin août 2023, lors du forum de Bled en Slovénie, que l’UE devrait être prête à accueillir les états candidats d’ici 2030.
Le sujet intéresse également les élus français, comme le montre le rapport d’information sénatoriale publié en juillet 2023 et intitulé »Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique ». Ce rapport mentionne beaucoup des éléments qui ont été abordés lors de la conférence, notamment :
- le fait qu’il n’y a pas un rythme d’intégration commun pour les pays candidats ;
- que la région fait face à des fortes instabilités internes qui sont en partie exacerbées par des ingérences étrangères
- qu’il doit y avoir un réinvestissement commercial mais aussi culturel dans la région de la part de la France et de l’UE.
Lors de la conférence, Christian Canacaris, PDG de la Raiffeisen Bank en Albanie, a mis en avant l’importance de l’intégration des Balkans occidentaux dans l’UE. Il a souligné l’aspect juridique de cette intégration, en mettant particulièrement l’accent sur la lutte contre la corruption. Selon lui, un retard dans ce processus pourrait non seulement décourager la population locale, mais aussi créer un espace propice aux ingérences étrangères. Canacaris a noté que l’opinion publique locale semble favorable à cette intégration, comme en témoigne un sondage de 2022 en Albanie. Cependant, il a soulevé un problème de perception alimenté par les médias occidentaux, susceptible de créer une image stéréotypée de la région.
Canacaris a également mentionné que la guerre en Ukraine a marqué un tournant en faveur de l’intégration des Balkans occidentaux. Il a noté que certains pays, comme l’Autriche ou la Grèce, sont historiquement plus ouverts à cette perspective, mais qu’il semble désormais exister un consensus parmi les 27 membres de l’UE.
En outre, Canacaris a souligné l’importance de reconnaître les progrès accomplis par certains pays, tels que l’Albanie, en matière de réformes de l’État de droit et de développement touristique. Il a insisté sur la nécessité d’une intégration rapide pour contrer l’influence de puissances étrangères, en particulier la Russie, qui profite de l’instabilité dans la région. Pour lui, l’intégration dans l’UE apporterait non seulement une stabilité sécuritaire, mais aussi fiscale et budgétaire.
Tefta Kelmendi, coordinatrice du programme « Wider Europe » à l’European Council on Foreign Relations (ECFR), a évoqué le retard dans le processus d’intégration, qu’elle a attribué à des crises internes et à l’influence continue de puissances étrangères. Elle a également mentionné une régression en matière de démocratie et le manque d’enthousiasme au sein des 27, en raison de problèmes tels que la crise migratoire, qui ont détourné l’attention de l’élargissement.
Jérôme Brouillet, directeur de cabinet de la Secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, a exposé les tensions parfois présentes entre le président du Conseil européen, Charles Michel, et la Commission européenne, en particulier à la suite des récentes déclarations de Charles Michel au forum de Bled. Il a souligné que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen donnera probablement plus de détails lors de son discours la semaine prochaine (SOTEU2023, ce fut le cas), ce qui pourrait impliquer des délais différents pour certains pays candidats.
Jérôme Brouillet a noté que la France a traditionnellement été exigeante en matière d’élargissement, mais que la situation a évolué depuis l’invasion russe en Ukraine. Il a également souligné la nécessité pour les dirigeants des Balkans occidentaux de faire face à leurs populations et de relever un défi politique majeur. Selon lui, il est impératif que ces dirigeants veillent au respect de certains principes fondamentaux, notamment l’alignement complet sur la politique étrangère commune de l’UE. Il a également mentionné la possibilité de réaliser des avancées tangibles en adoptant une approche graduée.
Marta de Cidrac, sénatrice et présidente du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux, a souligné l’impact décisif de la guerre en Ukraine sur la perception de la région. Elle a noté l’augmentation du nombre de membres du groupe d’amitié France-Balkans occidentaux au Sénat, reflétant l’intérêt croissant en France pour les Balkans occidentaux. Elle a mis en garde contre le risque d’appauvrissement dans la région en raison de la fuite des jeunes, tout en soulignant l’influence néfaste de la Russie et de la Chine. Selon elle, ce manque d’intérêt est dû à une intégration trop technique. Elle a plaidé en faveur d’une amélioration de la connectivité économique pour favoriser les liens économiques et commerciaux entre la France et la région.
Enfin, Maxime Lefebvre, ancien diplomate, a mis en avant les différences de statut d’intégration entre les pays de la région. Il a souligné que le Kosovo n’était pas reconnu par cinq États membres de l’UE (Espagne, Grèce, Roumanie, Chypre, Slovaquie), tandis que la Serbie est en conflit actif avec le Kosovo, ce qui complique leur intégration respective. Il a rappelé l’introduction en 2006 d’un critère supplémentaire : la capacité de l’UE à intégrer rapidement les pays candidats, mettant ainsi la responsabilité d’intégration à la fois sur les pays candidats et sur l’Union elle-même.
En conclusion, la conférence a souligné l’importance cruciale de l’intégration des Balkans occidentaux dans l’UE, tout en mettant en évidence les défis liés au retard, aux tensions politiques, à l’influence étrangère et à la nécessité de préserver les principes fondamentaux pour accélérer le processus. La guerre en Ukraine a marqué un tournant dans cette perspective, suscitant un intérêt croissant en France et en Europe pour la région, ainsi qu’une prise de conscience de l’importance d’un partenariat économique et d’une meilleure connectivité.
6 septembre 2023, Maison de l’Europe de Paris