Deux disparitions qui, l’une et l’autre, nous privent de deux personnalités dont l’humanité a toujours besoin et dont l’Europe a tout particulièrement besoin. Des hommes intelligents, instruits et cultivés qui, par-dessus tout, sont guidés non seulement par la raison mais aussi par des sentiments et des valeurs qui nous aimons et respectons.
Aujourd’hui, plus que jamais, les Européens ont besoin de repères. La classe politique et les institutions n’en offrent guère. Les citoyens de nos pays se sentent souvent à la dérive, mal compris et mal protégés. Rocard, Wiesel, chacun avec ses particularités, ont été des exceptions dans la société dans laquelle ils ont vécu.
Wiesel, le juif hongrois pourchassé par les nazis, nous a constamment rappelé la barbarie à laquelle l’Europe n’a pas su résister et les drames auxquels l’ultranationalisme et la haine de l’autre peuvent conduire.
Michel Rocard a vécu plus paisiblement, mais ses convictions européennes reposaient aussi sur la mémoire des horreurs commises au XXe siècle par des Européens devenus de véritables monstres.
La bataille des idées, des valeurs, de ce qui est bien et de ce qui est mal reste, malgré les hésitations et les malaises que ces débats suscitent, la bataille suprême aujourd’hui en Europe et dans le monde.
J’ai rencontré Elie Wiesel dans le cadre du Conseil de l’Europe. Il a représenté pour moi l’image de la Shoah et les leçons qu’il faut en tirer.
J’ai connu Michel Rocard. Certes, je ne partageais pas toutes ses propositions mais j’en partageais beaucoup. Et je lui suis infiniment reconnaissante de l’exemple qu’il nous a donné : l’honnêteté intellectuelle et l’honnêteté tout court, le souci d’aider ceux qui n’ont guère reçu de la vie, les convictions, le refus de la démagogie par respect d’autrui, l’esprit d’ouverture…
Oui, aujourd’hui, nous sommes en deuil et dans une période où les Européens se sentent particulièrement désorientés, nous sentons davantage notre tristesse de voir partir ces deux grandes figures.
Catherine LALUMIERE