Le populisme contre le peuple
Cet intitulé paraît paradoxal. Pourtant il correspond à la réalité.
Le populisme ?
Le mot – tout au moins dans la langue française – est nouveau. Dans les dictionnaires, jusqu’à ces dernières années, il n’existait pas. Plus exactement, il désignait un mouvement littéraire qui s’intéressait à la description de la vie quotidienne des gens. Rien à voir avec le sens actuellement donné à ce mot.
Aujourd’hui on parle de « populisme » tout le temps et dans de nombreux pays. C’est devenu un concept auquel on se réfère en permanence, dès que l’on décrit la vie politique ou que l’on fait des travaux de science politique.
C’est donc devenu un phénomène très répandu dans le monde contemporain. Et un phénomène qui inquiète beaucoup de gens.
Comment le définir ?
La base de départ est la démocratie dont on peut rappeler le sens en citant la formule célébre : « c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple ».
Au fil des siècles, depuis la Grèce Antique, la démocratie a connu des hauts et des bas. Elle a conquis d’abord certains pays, puis d’autres. Elle a pris des formes diverses. Mais, en définitive, elle est toujours restée très minoritaire dans le monde. Toutefois, dans la seconde moitié du XXème siècle, elle a connu une période apparemment triomphale. J’insiste là-dessus : évidemment ce n’était qu’une apparence.
En effet, après les deux guerres mondiales du XXème siècle et après l’échec des régimes totalitaires des années trente (ceux de Hitler, Staline, Mussolini, Franco et de la plupart des pays en voie de développement), on a pu avoir l’impression que la démocratie avait triomphé. En 1948 fut adoptée la Déclaration universelle des droits de l’homme. En 1949, ce fut la création de l’ONU. En Europe, pendant ce temps, on adoptait la Convention européenne des droits de l’homme (1950) et l’on créait la Cour européenne des droits de l’homme installée à Strasbourg. Bref, on peut dire que la pensée dominante, en apparence, mettait les valeurs démocratiques et humanistes au premier rang.
La chute du Mur de Berlin en 1989 marqua en quelque sorte l’apogée de la philosophie démocratique, pluraliste et libérale. Certes, on voyait qu’il y avait de nombreuses exceptions ou bavures, mais le « bien-pensant » était en faveur de cette démocratie et s’y référait officiellement.
En particulier, dans de nombreux pays dans le monde monde et notamment en Europe, on prit l’habitude de faire reposer le système politique sur des élections au suffrage universel. Le peuple était le souverain : très bien.
Très bien… en apparence. En effet, progressivement, ceux qui voulaient être élus ont cherché à capter les suffrages, et ont cherché à plaire par tous les moyens, quitte à flatter les penchants les plus médiocres, les instincts les plus bas de la population. C’est la démagogie et c’est le populisme. Le but est de plaire, plaire par tous les moyens, y compris au mépris de l’intérêt général véritable.
Certes, il est difficile de prétendre distinguer vraiment où est l’intérêt général véritable. Chacun peut avoir son idée sur la question. Mais, si on est honnête, on voit quand même très bien la différence entre des arguments documentés et réfléchis et, au contraire, des arguments faux, irrationnels ou exagérément simplistes.
Le populisme utilise les arguments les plus simplistes. Le populisme se réfère au bon sens mais c’est le gros bon sens, mal documenté, mal réfléchi, en un mot inintelligent et, en définitive, méprisant pour le peuple lui-même.
En effet, le populisme qui soi-disant exprime ce que pense le peuple et ce que veut le peuple finit par travailler contre les intérêts du peuple. Ceci explique le paradoxe exprimé dans le titre de cet exposé : « le populisme contre le peuple ».
C’est cette situation que l’on voit se répandre aujourd’hui sur la planète et même en Europe. C’est une véritable maladie de la démocratie. Et au fur et à mesure que la démocratie est devenue une référence mondiale, paradoxalement, cette maladie a trouvé un terrain favorable élargi. Désormais les tendances populistes peuvent se retrouver partout car c’est une maladie contagieuse.
Ceci étant, le populisme, qui est une attitude, a besoin de s’accrocher à des thèmes, à des idées qui varient selon les circonstances.
Premier exemple
Aujourd’hui, en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, ce sont des revendications nationalistes qui utilisent largement les méthodes populistes. Nationalisme et populisme forment un tandem fréquent.
Ainsi, en France, le Front National a toujours présenté ses thèses avec des arguments populistes. Cela a semblé lui réussir, mais jusqu’à un certain point. Il a fait de beaux scores électoraux, mais n’a jamais obtenu la majorité. En outre, il a montré que de mauvais arguments étaient malgré tout une faiblesse. Par exemple, cette faiblesse fut évidente lors de la récente campagne présidentielle en France. Le duel télévisé Emmanuel Macron – Marine Le Pen a montré les limites des méthodes populistes. La majorité des téléspectateurs a été atterrée par la faiblesse des arguments de la candidate et ses ignorances.
On retrouve ces mêmes faiblesses aujourd’hui aux Etats-Unis avec le Président Trump qui mêle nationalisme (America first) et populisme. Certes il a été élu, ce qui signifie un appui du corps électoral. Mais la majorité et le soutien populaire semblent fragiles malgré tout.
Deuxième exemple
Dans d’autres cas, le populisme s’appuie sur la haine de l’autre, le rejet de l’étranger, de l’immigré. Nous en avons de nombreux exemples aujourd’hui. Adieu la solidarité, le respect de l’autre. Adieu l’amour de son prochain. L’égoïsme, le « chacun pour soi » sont présentés comme des évidences, le seul moyen de se défendre. Le respect du Droit et de l’Etat de Droit sont présentés comme une faiblesse qui met en danger le peuple alors que c’est le non-respect de ces principes qui est le pire danger.
En définitive, dans tous ces exemples, on constate que le populisme, cette maladie de la démocratie est, en fait, une manifestation de médiocrité, de bêtise, d’ignorance. Ceux qui utilisent sciemment des méthodes populistes sont cyniques et se moquent des crédules qui les suivent. Ces derniers sont souvent de pauvres gens, au mieux simplement ignorants, au pire vraiment méchants.
Mais dans tous les cas, le populisme est terriblement dangereux et joue contre le peuple. Cette caricature de la démocratie, cette maladie transforme des consultations populaires (élections, référendums, plébiscites) en pièges qui se referment sur les citoyens.
Aujourd’hui, dans nos pays d’Europe, et partout dans le monde, nous devons être extrêmement lucides et vigilants.
Plus que jamais, avec les nouveaux moyens de communication dont nous disposons, avec les moyens de désinformation et d’endoctrinement qui nous entourent, nous devons essayer de bâtir des protections pour éviter d’être emportés dans un torrent de démagogie populiste. Comme le disait récemment un avocat célèbre : « les réseaux sociaux sont des poubelles abjectes ». L’ignorance, la bêtise, la cruauté, l’injustice s’y étalent sans frein.
Et les moyens, les seuls véritables pour résister au populisme, ce sont l’éducation et l’instruction car un peuple ignorant est terriblement vulnérable. Un peuple instruit pourra et saura se défendre. En tout cas, il résistera mieux.
D’ailleurs les populistes le savent très bien. C’est souvent ce qui les conduit à dresser les différentes catégories de la population les unes contre les autres, ce que l’on appelle les « élites » contre ce que l’on appelle les « classes populaires ». Les « élites » contre « le peuple ».
Certes, il n’est pas question ici de vouloir défendre les élites. Mais qu’est-ce que les élites ? On pense aux riches, aux profiteurs, qui se défendent très bien tout seuls. Mais ce sont aussi les gens instruits, éduqués, qui essaient de penser par eux-mêmes, qui essaient de réfléchir. Or, les populistes veulent discréditer ces derniers car l’éducation et l’instruction sont les meilleurs remparts pour lutter contre leur influence.
Je terminerai en mentionnant un dernier phénomène qui se développe aujourd’hui dans certains pays et qui est dans la ligne de ce qui vient d’être dit sur le populisme mais va au-delà.
Dès lors que la démocratie repose sur la volonté des peuples, les élections ont un rôle essentiel, notamment celles qui ont lieu au suffrage universel. Aucun démocrate ne peut dire le contraire. C’est si vrai que certains élus interprètent leur élection comme la porte ouverte à leurs pleins pouvoirs. « Je suis élu, parfois avec des scores époustouflants, 80-90%. Je peux donc tout faire. Je suis tout puissant ».
Malheureusement, c’est le scénario que l’on observe aujourd’hui dans de nombreux pays du monde, y compris en Europe. Je ne citerai pas ici à quels pays je songe, mais tout le monde comprendra à quels dirigeants je fais allusion. Ces derniers se prétendent parfaits démocrates car proches du peuple, fidèles porte-voix des volontés de leur peuple. Dès lors, à côté de la démocratie attachée au droit et aux libertés, ils défendent une « démocratie illibérale » en insistant sur le fait qu’il peut y avoir plusieurs « conceptions de la démocratie ».
« Le peuple, le peuple veut ceci, le peuple veut cela. Donc je le fais même si ce n’est pas conforme aux grands principes de l’humanisme ou de l’Etat de droit. On parle aussi de « démocrature ».
La philosophie politique, élaborée laborieusement au fil des siècles et qui donne son sens à notre société, cette philosophie subtile est écartée au profit d’une conception despotique du pouvoir de l’élu au nom du peuple. Ainsi, après la chute du Mur de Berlin, on a assisté dans les pays directement concernés à un grand mouvement en faveur de la démocratie pluraliste et libérale : fort bien. Mais, petit à petit, dans certains de ces pays, ce qui donne son sens au projet européen a été mis de côté. Sont restées les élections, c’est-à-dire le mécanisme institutionnel de la démocratie, l’ingénierie, mais le contenu, les valeurs, les principes se sont évaporés. Pas toujours, mais souvent.
Contre cette dérive, contre cette dénaturation de la démocratie, en définitive, on en revient toujours à cette constatation, la meilleure façon de protéger un pays, c’est l’éducation, c’est l’instruction des citoyens. Et le meilleur remède pour guérir la démocratie quand elle a été dénaturée, vidée de sa substance par le populisme, c’est encore et toujours l’éducation et l’instruction des citoyens à tous les âges de leur vie.
L’Europe, aujourd’hui, ne doit pas oublier tout cela.