L’écologie de guerre, la nouvelle politique environnementale de l’UE ?

L’écologie de guerre, la nouvelle politique environnementale de l’UE ?

 

La guerre en Ukraine a été un élément déclencheur de modification de la politique environnementale de l’UE. Alors qu’elle était historiquement constituée d’objectifs climatiques ambitieux dans le but de protéger les générations futures, elle inclut désormais aussi la protection de la sécurité nationale des Etats membres et des considérations stratégiques. Cet évènement géopolitique ne marque pas la fin des mesures du Green Deal, mais il s’agit d’adapter la politique environnementale de l’UE pour qu’elle corresponde aussi aux objectifs énergétiques stratégiques liés à la guerre en Ukraine.

 

Contrairement à l’économie, l’environnement ne fait pas partie des compétences historiques de l’UE, établies dans les premières heures de la construction européenne. Ce sujet n’est apparu dans les titres de traités européens qu’à partir des années 1980, avec l’Acte Unique et plus tard le traité de Maastricht. Les questions environnementales sont inscrites à l’agenda politique européen progressivement, comme une extension de la politique industrielle. En effet, dans les années 1970, il n’existait seulement qu’une petite équipe spécialisée sur les questions environnementales, au sein de la Direction Générale de l’Industrie de la Commission européenne. C’est donc parce que l’aspect environnemental était intéressant d’un point de vue économique et commercial que les institutions européennes s’y sont intéressées en premier lieu. Il s’agissait à cette époque d’harmoniser le marché commun en adoptant des normes communes et notamment environnementales.

 

Si la politique environnementale de l’UE correspondait en partie à l’énergie jusque-là, le Pacte vert (Green Deal) lancé par Ursula von der Leyen en 2019 marque un projet plus ambitieux de protection du climat et de la biodiversité. Il couvre des thématiques larges telles que la réduction des gaz à effet de serre, l’interdiction des plastiques à usage unique, la protection des océans, …

 

Cependant, la politique environnementale de l’UE prend un nouveau tournant en 2022 avec l’irruption de la guerre en Ukraine. De nouveau l’énergie est un enjeu crucial et prend une place centrale dans la politique environnementale, du fait de la dépendance européenne au gaz russe. Le plan RePowerEU est la réaction directe de l’UE à l’invasion russe en Ukraine. La stratégie élaborée par la Commission sur demande des 27, prévoit 4 dimensions : économiser de l’énergie, remplacer les énergies fossiles russes par d’autres hydrocarbures, promouvoir les énergies renouvelables et investir dans de nouvelles infrastructures. Le plan RePowerEU place l’écologie, non plus comme le but d’une politique publique, mais comme un outil de coercition géopolitique. La politique européenne qui découlera de ce plan vise à avoir un impact positif sur l’environnement cependant elle n’est pas justifiée par des préoccupations écologiques mais avant tout par des préoccupations géopolitiques. En sanctionnant la Russie et en développant les énergies renouvelables à la place, l’UE réussit à réunir deux objectifs : géopolitique et environnemental. Cependant il est à noter que ce tournant n’est pas un changement radical mais plutôt une adaptation de la politique environnementale à un nouveau contexte géopolitique. Etant donné que le modèle européen de mix énergétique actuel est polluant, se séparer du gaz russe pour des raisons de défense stratégique et favoriser les énergies renouvelables à la place converge vers le même objectif écologique.

 

Si la guerre a pour effet indirect d’encourager la transition écologique en Europe, notamment en accélérant le développement des énergies renouvelables, en réalité c’est bien plus que cela. La transition écologique peut désormais être perçue comme un outil d’autonomie stratégique. Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, Pierre Charbonnier a développé le concept d’« écologie de guerre ». Ce terme fait référence à l’économie de guerre qui est la rationalisation, en temps de crise, d’un secteur de politique publique, en l’occurrence l’économie. L’Union Européenne s’engage dans une économie de l’effort écologique, comparable à ce que furent les économies de guerre au XXe siècle : mobilisation des citoyens, des industries, et des Etats autour d’un objectif clé, en l’occurrence de protection de la planète. Selon l’auteur, l’écologie de guerre correspond à l’alignement des objectifs environnementaux et de la nécessité de défendre l’autonomie stratégique de l’UE. Il envisage la transition écologique comme une arme de guerre. La décarbonation n’est plus un sacrifice mais un atout géopolitique et les sanctions énergétiques sont un moyen de coercition dans un contexte de guerre.

 

Selon Pierre Charbonnier :

« On ne fait plus seulement la guerre pour les ressources, dans l’espoir de conquérir un Lebensraum territorial ou géologique, on fait la guerre par l’intermédiaire des politiques énergétiques. L’énergie n’est plus seulement un ressort de la puissance en tant qu’elle alimente les armées et l’effort productif, elle l’est aussi en tant que facteur de risque dont il s’agit de se défaire. »

Vers l’écologie de guerre, 2024, éditions La Découverte.

 

La naissance de l’écologie de guerre est un réel changement dans la politique publique environnementale, causé par la guerre en Ukraine. Il ne s’agit pas seulement d’une idéologie mais d’une réponse pragmatique à une époque en basculement. L’écologie de guerre pousse l’Europe à repenser ses alliances, à investir massivement dans l’économie verte, et à faire de la transition écologique un pilier de sa politique étrangère. Preuve que la guerre en Ukraine est un évènement provoquant le rapprochement de ces deux domaines de politique publique : en 2023 Josep Borrell, alors Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a dénoncé les conséquences environnementales catastrophiques de cette guerre en Ukraine. Il a repris les mots de Volodimir Zelensky, président de l’Ukraine,  pour qualifier les faits d’ « écocide » et de « pire désastre environnemental en Ukraine depuis Tchernobyl ». Il a également déclaré : « La nature et la paix sont liées. Si l’on porte atteinte à l’une, on porte atteinte à l’autre ». Alors que son portefeuille, en tant que chef de la diplomatie européenne, n’inclut pas l’environnement, ces propos soulignent que la protection de l’environnement s’inscrit à part entière dans le soutien à l’Ukraine.

 

On assiste donc à une modification soudaine de la politique environnementale de l’UE, d’une écologie adaptée au paradigme libéral de la politique européenne, vers l’écologie de guerre. Reste maintenant à savoir si ce nouveau paradigme est amené à durer dans le temps. S’agit-il d’une simple réaction temporaire à l’invasion russe en Ukraine ou cela marque-t-il le début d’un changement profond dans la politique environnementale de l’UE ?

 

Maison de l'Europe de Paris

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