« Le 9 novembre 1989, à la Chute du Mur, je n’étais pas né. Il faudra attendre 14 ans, 7 mois et 2 jours pour que je vienne au monde. Et pourtant, ce 9 novembre me sera raconté encore et encore depuis. Entre la première fois où je l’ai vu, ce mur, au début du collège à 9 ans, et la fois où je l’ai revu, l’année dernière, à 19 ans, 10 ans après, la conscience forgée de l’impact de ce mur et de sa chute sur l’histoire m’a permis de mieux en mesurer l’importance.
Cette chute, c’est un peuple tout entier qui, une nuit, décida de se démettre des chaines qui lui ont été attachées par une dictature communiste pendant 28 ans, depuis la construction du Mur en 1961 (précédée par la séparation du pays et de la capitale Berlin, à la suite de la Deuxième Guerre Mondiale, dans plusieurs secteurs pour aboutir à la fin dans une spération nette Ouest-Est, Occident/Communisme…). Au centre de toutes les tensions et retransmissions du monde, de Corée à Cuba, c’est un peuple qui n’a pas craint les conséquences que l’amour de leur pays pourrait avoir sur le reste du monde.
Cette démission est bien sûr partie du vent de changement qui a soufflé sur l’Europe centrale et de l’Est toutes entières, leur apportant la liberté sociale et économique, la prospection de se rapprocher de l’Ouest, de l’OTAN, de l’Union européenne, d’accéder à la démocratie. A cette époque écrivait Francis Fukuyama “La fin de l’histoire et le dernier homme” (1992, Free Press), aussi incompris aujourd’hui qu’il était à l’époque empli de ce vent de changement. Ces valeurs auxquelles les pays de l’Est ont ouvert les bras dès qu’on leur a retiré les chaines, ce sont celles en grande partie de la France. Celles de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, garantissant les libertés fondamentales de tout homme et de toute femme. Ces valeurs sont aussi celles de l’Europe tout entière, c’est l’accomplissement, presque une consécration de l’intégration européenne : la moitié de la surface d’un continent souhaita ardemment rejoindre une Union aussi décriée à certains moments qu’appréciée le temps des vacances. Car pour ces pays, ces valeurs, les valeurs françaises et européennes, sont ce qui leur a manqué pendant ces décennies de dictature communiste. Le fait que leur rêve fut de rejoindre l’Union est la preuve, s’il en fallait encore une, que le rêve européen est bien réel ; et aux sceptiques, je leur dirais de regarder l’engouement que provoque ce rêve en Ukraine, en Moldavie, en Géorgie.
Mais la Chute du Mur n’est pas seulement partie d’un mouvement plus grand : c’est aussi la réunification pacifique d’un peuple qui n’attendait que ça. C’est l’affirmation de la grandeur de leur nation, la force de leurs convictions communes, et la durabilité de celles-ci après des années de soumission. C’est la force d’une culture, proche de celle dans laquelle je suis né, et d’une langue, celle que j’aime et que j’essaye de parler du mieux que je peux. C’est aussi l’espoir que, entre la puissance française et la puissance allemande, l’Europe puissance pourra prendre de son envol. Nous sommes ce qui nous compose : affirmer ne pas être ce qui nous fait, ce qui fait notre chair et notre substance, n’a strictement aucun sens. En ce sens, l’Europe est bien en partie la France et l’Allemagne. Leur amitié, indéfectible et naturelle malgré les remous géopolitiques, est bien appelée “moteur de l’Europe” pour une raison. Ces deux puissances, ensemble, pourraient faire de l’Europe de Lisbonne à Kyiv un phare pour l’humanité. Economiquement, socialement, culturellement, militairement, ils doivent endosser une responsabilité particulière pour assumer ce qui est leur destin et leur devoir naturels, la force de l’Europe de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité. La devise de la France qui se transpose, dans l’absolu, en un but pour tous les européens. Surtout pour ceux qui vivaient de l’autre côté du Mur.
Cette Europe, c’est celle de la liberté, d’abord, des valeurs fondamentales qui forment nos sociétés, de leur solidification et leur perpétuation intérieures et de leur défense extérieure. C’est celle de la liberté du joug dictatorial fasciste ou communiste qui, bien que pour des objectifs très différents, sont égaux en ce sens qu’ils cherchent à restreindre autant que possible la liberté. C’est celle de la défense de l’indépendance de l’Europe face à toute visée impérialiste, à premier égard celle, violente, sanguinolente, et incessante de la Russie : pour moi, désormais, il a l’allure d’un tigre de papier physionomiquement dictatorial qui ne connaitra répit que quand il assouvira son désir maladif mais chronique de domination militaire sanglante et brutale du continent européen. Mais c’est aussi, je le crois ainsi, l’indépendance de l’Europe face aux Etats-Unis d’Amérique et leur culture, qui, avec l’excuse de la facilité linguistique, cherchent à uniformiser les cultures du monde dans une casserole anglophonâtre sans substance, qui cherchent par-là, comme s’il était la seule référence possible, à répandre leur système économique et de valeurs à travers le monde, et notamment en Europe, qu’ils voient comme leur chasse gardée. J’ai tort ? Je n’ai pas ? Le futur le dira. Alliance n’est pas synonyme avec soumission. Enfin la liberté, c’est aussi celle de l’économie de marché, née en Europe, et suite économique logique à l’affirmation et la défense de la liberté, de la propriété privée, et de la démocratie. Nous sommes ce qui nous compose : les sociétés européennes sont des sociétés de valeurs à la soif de liberté.
Cette Europe, c’est celle de l’égalité. Ce qui distingue l’Europe du reste du monde est sa solidarité, l’idée que la liberté n’est pas tant l’absence de contraintes que la possibilité de faire. En ce sens, pour remédier aux pires torts du système économique capitaliste qui in fine vole cette liberté aux plus démunis, pour tendre la main à ceux qui sont abandonnés sur le chemin par des plus véreux qu’eux, pour former une société cohérente digne de ce nom, enfin et surtout pour que tout le monde puisse jouir des libertés fondamentales qui forment nos sociétés européennes, l’égalité est le point cardinal d’une économie de marché fonctionnelle et d’une société juste et vivable.
Cette Europe, c’est enfin celle de la fraternité. La fraternité entre les peuples, la fraternité entre les Etats membres. C’est cette Europe qui se soucie de son bien-être général et ne se replie pas sur ses petits réflexes nationalistes, ces réflexes qui, comme un tas d’allumettes, prennent feu à la moindre excitation. Deux fois, cet embrasement a failli faire couler le continent à jamais. Deux fois, il s’est relevé, prouvant par-là la force de ses sociétés, la force de ses valeurs, la force de son peuple. Mais deux fois, le nationalisme isolationniste a prouvé sa démesure, son illogisme, et sa puissance destructrice. L’Europe des nations n’est qu’un leurre qui cache le repli nationaliste et la destruction du continent. Une seule voie pour une seule voix : la fondation d’une fédération.
Ce sont ces trois valeurs qui ont détruit le Mur. Ce sont ces trois valeurs qui ont poussé ces Allemands, la nuit du 9 novembre 1989, à redoubler de bravoure pour accomplir ce qui était jusqu’ici impensable. La plus grande et la plus puissante des puissances ne peut résister longtemps à la soif de liberté, d’égalité, et de fraternité des peuples. Tantôt divisé.es, aujourd’hui réunifié.es, la nation allemande et les nations européennes n’ont qu’un seul futur pour préserver leur prospérité : celle de l’unification.
Qu’en est-il de l’Allemagne et de l’Europe après 35 ans ? Il est évident que la destruction sociale en Allemagne de l’Est opérée par la dictature communiste russe de l’URSS et ses collaborateurs en RDA, destruction voulue et intentionnelle par les communistes pour réduire les hommes à l’Etat de pions pour le parti unique, a encore des effets aujourd’hui. Parti d’extrême-droite souhaitant déporter une partie de la population allemande et utilisant à son avantage le sentiment de désespoir des habitants de la région pour arriver au pouvoir, les conséquences que la performance électorale de l’AfD (Alternative für Deutschland) pourraient avoir sur l’équilibre institutionnel de l’Allemagne et in fine de l’Europe toute entière doit nous interroger sur les mesures à prendre pour préserver la démocratie et les valeurs européennes de progrès social et de respect de la personne. Mais il ne faut aussi pas oublier que les conditions sociales se sont considérablement améliorées au sein des Etats fédérés de l’Est : les salaires moyens ont plus que doublé entre la réunification et aujourd’hui, et l’espérance de vie est devenue presque égale aux Etats fédérés de l’Ouest. Pour ce qui est de l’Europe, elle est forte et s’impose au monde. Depuis l’intégration de l’Allemagne de l’Est en 1990, et des agrandissements successifs, elle est définitivement devenue une grande puissance qui, si elle le veut, peut faire la pluie et le beau temps dans le monde (encore faut-il seulement qu’elle le veuille). Les citoyens de l’Union présentent pour la quasi-totalité un niveau de vie très élevé, et jouissent d’une importante protection sociale. Mais comme l’Allemagne, l’Union européenne fait face à de nombreux défis à la suite des élargissements successifs : comment faire face à des extrémistes au pouvoir qui bloquent les institutions fédérales tout en ouvrant grand les bras à leurs subventions ? Comment solidifier l’Etat de droit au sein du territoire fédéral ? Comment résorber les inégalités territoriales ? Cesquestions-là ne sont pas nouvelles, mais force est de constater qu’il faut continuer de se les poser tant qu’un remède n’a pas été trouvé ».
- Ce texte est écrit à la première personne par un jeune français, ancien stagiaire de la Maison de l’Europe de Paris. La MdEP n’entend donner ni approbation ni désapprobation à ces propos, ils n’engagent que leur auteur.